Discours du pape à la Congrégation pour les Instituts de vie consacrée

Religieuse voilée

 

Chers frères et sœurs,

 

 

C’est une grande joie pour moi de pouvoir vous recevoir aujourd’hui, alors que vous êtes en ce moment réunis en session plénière pour réfléchir à la question de la fidélité et des abandons. Je salue le cardinal préfet et le remercie pour ses paroles d’introduction ; et je vous salue tous en vous exprimant ma reconnaissance pour votre travail au service de la vie consacrée dans l’Église.
Le thème que vous avez choisi est important. Nous pouvons vraiment dire qu’en ce moment la fidélité est mise à l’épreuve : les statistiques que vous avez examinées le montrent. Nous sommes confrontés à une « hémorragie » qui affaiblit la vie consacrée et la vie même de l’Eglise. Les abandons dans la vie consacrée nous préoccupent. Il est vrai que certains la quittent dans un geste de cohérence, parce qu’ils reconnaissent, après un discernement sérieux, n’avoir jamais eu la vocation ; mais d’autres, avec le temps, perdent leur fidélité, voire quelques années seulement après leur profession perpétuelle. Que s’est-il passé ?
Comme vous l’avez souligné, tant de facteurs conditionnent la fidélité dans ce changement d’époque et pas seulement époque de changement. Il est difficile d’assumer des engagements sérieux et définitifs. Un évêque me racontait qu’un jour un brave garçon, à peine sorti de l’université, est venu le voir et lui a dit : « je veux devenir prêtre, mais pour 10 ans ». La culture du provisoire.
Le premier facteur qui n’aide pas à rester fidèle est le contexte social et culturel dans lequel nous vivons. Nous vivons dans une culture pour ainsi dire fragmentée, une culture du provisoire, qui peut conduire à vivre « à la carte » et à être esclaves des modes. Cette culture favorise le besoin de toujours avoir des « portes latérales » ouvertes sur d’autres possibilités, alimente le consumérisme et oublie la beauté d’une vie simple et austère, provoquant souvent un grand vide dans nos existences. On voit aussi se répandre un fort relativisme pratique, selon lequel tout est jugé en fonction d’une réalisation personnelle, souvent étrangère aux valeurs de l’Evangile. Nous vivons dans une société où les règles économique se substituent aux règles morales, dictent des lois et imposent leurs propres systèmes de référence au détriment des valeurs de la vie ; une société où la dictature de l’argent et du profit prône une vision de l’existence selon laquelle celui qui ne rapporte pas est tenu à l’écart. Dans cette situation, il est clair que la personne doit d’abord se laisser évangéliser pour ensuite s’engager dans l’évangélisation.
A ce facteur socio-culturel nous devons en ajouter d’autres. Celui par exemple du monde des jeunes, un monde complexe, mais en même temps riche et plein de défis. Pas négatif, mais complexe, oui, riche et plein de défis. Des jeunes généreux, solidaires et engagés au niveau religieux et social, ça ne manque pas ; des jeunes en quête d’une vraie vie spirituelle ; des jeunes qui ont faim de quelque chose de diffèrent de ce que leur offre le monde. Il y a des jeunes merveilleux et ils ne sont pas rares. Mais chez les jeunes on trouve aussi beaucoup de victimes de la logique de la mondanité : recherche du succès à n’importe quel prix, de l’argent et du plaisir faciles. Cette logique séduit beaucoup de jeunes. Notre premier engagement devrait donc être celui de rester à leurs côtés pour les contaminer de la joie de l’évangile et de l’appartenance au Christ. Cette culture doit être évangélisée si nous voulons que les jeunes ne succombent pas.
Un troisième facteur vient de l’intérieur de la vie consacrée, là où à côté de tant de sainteté – il y a tant de sainteté dans la vie consacrée ! – ne manquent pas les situations de contre-témoignage qui rendent difficile la fidélité. Parmi ces situations, nous trouvons entre autres : la routine, la fatigue, le poids de la gestion des structures, les divisions internes, la recherche du pouvoir – les arrivistes –, une manière mondaine de gouverner les instituts, un service de l’autorité qui devient parfois de l’autoritarisme et d’autres fois du « laxisme ». Si la vie consacrée veut garder sa mission prophétique et son attrait, elle doit rester une école de fidélité pour les proches et les lointains (cf. Eph 2,17), doit garder la fraicheur et la nouveauté de la centralité de Jésus, cette attirance pour la spiritualité et la force de la mission, montrer la beauté d’une vie vécue dans les pas du Christ et faire rayonner l’espérance et la joie. De l’espérance et de la joie. Des signes qui indiquent comment se porte une communauté, ce qu’elle a en elle. De l’espérance, de la joie ? C’est bien. Mais quand l’espérance commence à manquer et qu’il n’y a pas de joie, c’est une mauvaise chose.
Un aspect à soigner tout particulièrement c’est la vie fraternelle en communauté. Celle-ci doit se nourrir de prières communautaires, de lectures orantes de la Parole, de participation active aux sacrements de l’Eucharistie et de la Réconciliation, de dialogue fraternel et de communication sincère entre ses membres. Se nourrir de correction fraternelle, de miséricorde envers le frère ou la sœur qui a péché, de responsabilités partagées. Tout ceci accompagné d’un éloquent et joyeux témoignage d’une vie simple aux côtés des pauvres et d’une mission qui privilégie les périphéries de l’existence. Le résultat de la pastorale vocationnelle, de pouvoir dire « Venez, et vous verrez » (cf. Jn 1,39) et la persévérance des frères et des sœurs jeunes et moins jeunes dépendra du renouvellement de la vie fraternelle en communauté. Car, lorsqu’un frère ou une sœur ne trouve pas de soutien à sa vie consacrée au sein de sa communauté, il ira le chercher ailleurs, avec tout ce que cela comporte (cf. La vie fraternelle en communauté, 2 février 1994, 32).
La vocation, comme la foi, est un trésor que nous portons dans des vases d’argile (cf. 2 Cor 4,7) ; c’est pourquoi nous devons en prendre soin, comme nous prenons soin des choses les plus précieuses, afin que personne ne nous vole ce trésor, ni que celui-ci ne perde de sa beauté, au fil du temps. Ce soin est un devoir qui nous incombe à nous personnellement avant tout, nous qui avons été appelés à suivre le Christ de près, avec foi, espérance et charité. Qualités cultivées chaque jour dans la prière et renforcées par une bonne formation théologique et spirituelle qui protège des modes et de la culture de l’éphémère et permet d’avancer en demeurant fermes dans la foi. Sur cette base il est possible de suivre les conseils évangéliques et d’avoir « les mêmes dispositions » que celles qui sont en Jésus-Christ (cf. Ph 2,5). La vocation est un don que nous avons reçu du Seigneur, qui a posé son regard sur nous et nous a aimés (cf. Mc 10,21), nous appelant à le suivre dans la vie consacrée. Mais une responsabilité aussi pour celui qui a reçu ce don. Avec la grâce du Seigneur, chacun de nous est appelé à assumer de manière responsable l’engagement personnel de sa propre croissance humaine, spirituelle et intellectuelle, et à entretenir la flamme de sa vocation. Cela implique qu’à notre tour nous ayons toujours notre regard fixé sur le Seigneur, en faisant toujours attention à marcher selon la logique de l’Evangile, sans jamais céder aux critères de la mondanité. Tant de fois les grandes infidélités partent de petites dérives ou distractions. Dans ce cas aussi, il est important de faire nôtre l’exhortation de saint Paul : « L’heure est déjà venue de sortir de votre sommeil » (Rm 13,11).
Parlant de fidélité et d’abandons, nous devons accorder beaucoup d’importance à l’accompagnement. Je tiens à le souligner. Il faut que la vie consacrée s’investisse dans la préparation d’accompagnateurs qualifiés pour ce ministère. Et je dis la vie consacrée car le charisme de l’accompagnement spirituel, disons de la direction spirituelle, est un charisme « laïque ». Les prêtres aussi l’ont ; mais il est « laïque ». Que de fois ai-je trouvé des religieuses qui me disaient : « Père, vous ne connaissez pas de prêtre qui pourrait me diriger ? » – « Mais, dis-moi, dans ta communauté n’y a-t-il pas une sœur pleine de sagesse, une femme de Dieu ? » – « Oui, il y a bien cette vieille religieuse qui… mais… » – « Vas la voir ! ». Prenez soin, vous, des membres de votre congrégation. Déjà à la précédente assemblée plénière vous avez constaté cette exigence, comme cela apparait aussi dans votre récent document A vin nouveau outres neuves (cf. nn. 14-16). Nous n’insisterons jamais assez sur cette nécessité. Il est difficile de rester fidèles en marchant tout seul, ou marchant sous la direction de frères et sœurs incapables d’écoute, de patience, ou qui n’auraient pas une bonne expérience de la vie consacrée. Nous avons besoin de frères et sœurs qui connaissent les chemins de Dieu, pour pouvoir faire ce que fit Jésus avec les disciples d’Emmaüs : les accompagner sur le chemin de la vie et lorsqu’ils étaient désorientés, et rallumer en eux la foi et l’espérance grâce à la Parole et l’Eucharistie (cf. Lc 24,13-35). C’est le rôle délicat et contraignant d’un accompagnateur. Les vocations qui se perdent par manque d’accompagnateurs valables ne sont pas rares. Nous tous les consacrés, jeunes et moins jeunes, nous avons besoin d’une aide adéquate pour les moments humain, spirituel et vocationnel que nous vivons. En revanche nous devons éviter toute forme d’accompagnement qui créé de la dépendance. C’est important : l’accompagnement spirituel ne doit jamais créer de dépendances. Mais alors que nous devons éviter toute forme d’accompagnement qui crée des dépendances, qui protège, contrôle ou infantilise, nous ne saurions nous résigner à marcher seuls, il faut un accompagnement rapproché, fréquent et pleinement adulte. Tout ceci servira à garantir un discernement continu qui amène à découvrir la volonté de Dieu, à chercher en tout cela ce qui est agréable au Seigneur, comme dirait saint Ignace, ou – pour le dire avec les paroles de saint François d’Assise – à « vouloir toujours ce qui Lui plaît » (cf. FF 233). Le discernement exige de l’accompagnateur et de la personne accompagnée une fine sensibilité spirituelle, de savoir se mettre face à soi-même et face à l’autre « sine proprio », en se détachant complètement des préjugés et des intérêts personnels ou de groupe. Ne pas oublier également que dans le discernement il ne s’agit pas seulement de choisir entre le bien et le mal, mais entre le bien et le mieux, entre ce qui est bon et ce qui amène à s’identifier au Christ.
Chers frères et sœurs, je vous remercie encore et invoque sur vous et sur votre service en tant que membres et collaborateurs de la congrégation pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique, l’aide continue de l’Esprit Saint. De tout cœur je vous donne ma bénédiction. Merci.

FRANCISCUS

Traduction de Zenit, Océane Le Gall

Le Synode sur la synodalité

Le Service civique dans l'Eglise

Laudato Si

#ChristusVivit

Faites vivre vos paroisses !

Newsletter du SNEJV